On veut arriver à une convention collective, Lahoucine Boulberj S.G régional du FNSA

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la FNSA collabore avec Fairfood et les rapports de cette organisation hollandaise qui dénoncent les conditions de travail de ouvriers de la tomate marocaine ne passent pas inaperçue en Europe. Nous avons rencontré M. Lahoucine Boulberj secrétaire général de la FNSA de la région de Souss Massa-Daraa et nous l’avons interrogé sur cette collaboration…   

Hortitechnews : Depuis quand militez-vous au sein de l’U.M.T en faveur des ouvriers agricoles ?

Lahoucine Boulberj : Je suis membre de l’U.M.T depuis 1995. Depuis 1998 j’ai commencé à défendre les droits des travailleurs agricoles au niveau des fermes de la SODEA dans la région d’Ouled Teim et Taroudante. C’est à ce moment que j’ai commencé à connaitre les problèmes des travailleurs de ce secteur.  La main d’œuvre agricole ne bénéficiait ni de CNSS, ni de prime d’ancienneté, ni de congés payés …etc. alors qu’ils travaillaient à la SODEA qui était une société étatique à ce temps. Au cours des années 1998 et 1999 on a commencé à  les encadrer et à organiser des dialogues au niveau régional avec le directeur régional de la SODEA. C’est là qu’on a senti qu’on faisait un bon travail d’encadrement et d’application de la législation.

 HTN : Vous êtes ingénieur agronome et vous défendez les droits des travailleurs agricoles, certains trouvent ça un peu paradoxal, comment vous leur répondez ?

L. Boulberj : Effectivement je suis ingénieur agronome. Ce n’est pas une contradiction, je suis toujours dans le secteur agricole. Le développement agricole c’est en fin de compte l’amélioration des conditions du monde rural. Les ouvriers agricoles font partie des personnes qui vivent dans le monde rural. J’ai travaillé avec toutes les catégories : les petits paysans, les éleveurs nomades, les travailleurs de la terre … le problème c’est que les gens comprennent mal le syndicalisme, dés qu’on dit syndicat cela signifie pour eux perturbations, grève, conflit…etc. Mais pour moi ce n’est pas du tout ça, j’ai toujours dit aux producteurs et à mes collègues, tant je sens que je suis utile pour le secteur, je vais continuer à travailler et collaborer ; le jour où je sentirais que je nuis au secteur et que je n’apporte plus rien ni pour la production ni pour l’amélioration des conditions de travail des travailleurs, je ne ferai plus de syndicalisme.  

Pour moi le syndicat n’est pas du tout un élément perturbateur, la preuve ce sont les bonnes relations qu’on a pu fonder sur la base du respect avec les gens dans la région que ce soit les producteurs, les ouvriers, la chambre de l’agriculture, les ministères de l’emploie et de l’agriculture. C’est une fierté pour nous dans la région de Souss Massa Draa. Il faut juste opérer en respectant les règles de l’art.

HTN : Pendant ces années de militantisme, qu’elles sont vos principales réalisations, et qu’est ce qui vous reste à faire ?

L. Boulberj : On a pu faire beaucoup de choses, que moi j’appelle une mise à niveau  sociale du secteur agricole. Avant 2004 il y avait une gestion anarchique de la main d’œuvre. Maintenant on parle de ressources humaines dans le secteur agricole. Avant on gérait les travailleurs comme on gérait le matériel. De nos jours on fait des formations continues, on encadre les gens, on fait des réunions et des débats pour les ouvriers syndicalisés. Lorsque le syndicat est intervenu dans le secteur agricole, les sociétés ont fait des formations aux techniciens et aux gérants des fermes. En effet, avant la syndicalisation, les cadres ne connaissez rien sur le code de travail, c’est grâce à ce mouvement qu’on a commencé à s’intéresser à ce sujet. Nos interventions ont poussé les producteurs à faire appel à des experts dans le domaine de la législation du travail et des ressources humaines. Ainsi, plusieurs séminaires, journées de formations, débats… ont été organisés. Notamment pour la gestion des conflits.

Notre principale réalisation c’est l’amélioration des conditions de vie pour les ouvriers agricoles qui se manifeste dans :

Le paiement du salaire minimum ; je peux vous  confirmer que maintenant 90% des producteurs payent le SMAG dans la région, ce qui n’est pas le cas dans les autres régions du Maroc.

La CNSS, l’AMO et les allocations familiales: nous sommes la région N°1 pour la déclaration de la CNSS dans le secteur agricole, on représente plus de  62% des déclarations au niveau national.

La stabilité des ouvriers agricoles : auparavant, surtout dans la région de Chtouka, il y avait un mouvement continu des ouvriers durant toute l’année. Maintenant avec la mise à niveau sociale,  l’application de la législation (la prime d’ancienneté, sanctions en cas d’absentéisme) on a pu obtenir un bon résultat pour la stabilisation des ouvriers sur place. Ils ont fondé des familles et construit leurs maisons. Ce n’est pas du luxe, mais ce sont des maisons qui ont remplacé des huttes et des baraques d’il y’a quelques années.

L’amélioration du niveau d’instruction: avant les gens ne savaient pas comment dialoguer, de nos jours, et dans chaque entreprise, on a au moins une dizaine de personnes qui savent dialoguer au lieu de réagir  d’une façon agressive comme avant.

Une meilleure gestion du volet santé et sécurité des ouvriers …etc.

Il faut noter aussi qu’avant ce mouvement, les entreprises dans la région embauchaient des ouvriers qui fuient la justice. Chtouka était une région où tous les malfrats du Maroc se cachaient. Maintenant, avant de faire travailler quiconque on exige de déposer des copies de leurs papiers aux bureaux syndicaux. Actuellement, les gens peuvent vivre en paix dans la  région, ce qui est pour moi, une des principales réalisations.

Cette année on a pu créer une association “Atlas” composée d’ouvrières agricoles avec le soutien de l’INDH. Elles font des visites à des crèches à Chtouka, car on a constaté que l’état des crèches et des maisons de garde dans la région est déplorable. Ceci dans l’objectif d’améliorer les conditions des enfants des travailleurs agricoles.

Pour ce qui est du futur, on veut bien arriver à une convention collective dans le secteur des fruits et légumes. Celle-ci va nous permettre une meilleure collaboration avec les partenaires. La confrontation ne donnera jamais de fruits. On compte beaucoup sur l’entente, la collaboration le principe du gagnant-gagnant. Nous devons apprendre à gérer les crises et profiter ensemble des moments où il y a du profit pour arriver à long terme à un certain équilibre et stabilité…

Les points qui nous ont bloqués sont: premièrement l’image qu’a les entreprises  du syndicat. Deuxièmement, c’est la façon de dialoguer entre les représentants des entreprises et les représentants des ouvriers (syndicalistes). Il nous a fallut presque 4 à 5 ans pour trouver une manière de communication normale au sein de chaque entreprise… Au début, les deux parties n’étaient pas formées, ni sur la législation ni en communication, ce qui a causé un choc entre les deux.

HTN : dans votre combat légitime de militantisme, vous vous êtes joint à Fairfood, qui est une organisation financée, principalement, par le ministère des affaires étrangères hollandais. Etant donné que c’est un pays concurrent du Maroc sur le marché de l’UE, n’y a-t-il pas un risque de subjectivité de la part de cette organisation ?

L.  Boulberj : En tant que fédération national dans le secteur agricole, l’U.M.T à plusieurs relations au niveau international. On n’est pas aller à la recherche de ces organisations, au contraire ce sont elles qui sont venues à notre recherche. Nous avons collaboré avec plusieurs organisations et syndicats notamment l’FNSEA (Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles), la FNV (Syndicat national des agriculteurs hollandais), SOMO (bureau international des études Néerlandais) et la Via Campesina (mouvement paysan international…etc. En 2013, on a été sollicité pour travailler avec la F.A.O. Ce n’est que dernièrement qu’on a commencé à travailler avec Fairfood, qui est une collaboration sur des thèmes précis. Comme d’autres organisations internationales, Fairfood travaille sur des thèmes des droits des travailleurs aussi bien au Maroc qu’ailleurs. En ce moment, cette organisation travaille en plus de la tomate marocaine sur d’autres thématiques telle que la vanille à Madagascar, sur l’Ananas aux Philippines … on est très conscients de ce risque mais on est des cadres du domaine. En tant que fédération on ne va pas tomber dans ce piège. En plus, entre nous, leurs interventions font bouger les choses énormément …

HTN : mais pourquoi la tomate Marocaine précisément ?

Lahoucine boulbrouj : La tomate est le produit maraîcher marocain le plus commercialisé en Europe, donc c’est normal qu’on travaille sur cette culture. Mais n’oubliez pas aussi que SOMO, par exemple, a déjà travaillé sur l’haricot au Maroc et que Fairfood a travaillé aussi sur la tomate en Amérique.

HTN : Sur leur site on voit des messages comme comportant des mots comme les bas salaire, la pauvreté, la haine…, à votre avis ces messages ne risquent pas de faire fuir le consommateur européen du produit marocain ?

L. Boulberj : le message n’est pas encore arrivé aux consommateurs, Fairfood n’a consulté que les grands revendeurs tels que TESCO, Sainsbury’s et Ahold. On aimerait bien avoir un centime de plus payé pour les producteurs marocains et qui sera versé dans les poches des ouvriers de ce secteur.

Nous, on travaille avec cette organisation avec des objectifs clairs : à savoir   instaurer un dialogue, améliorer les conditions des travailleurs tout en préservant le produit marocain et l’entreprise marocaine.

HTN : Ahold,Sainsbury’s et Tesco ont répondu au rapport de Fairfood, c’est quoi votre réaction ?

L. Boulberj : leurs réponses sont tout à fait logiques. Eux, ils disent qu’on respecte la législation du Maroc, mais Tesco, par exemple, a été clair qu’il souhaiterait une amélioration des salaires. On est tous d’accord qu’il y a un respect du SMAG dans la région, mais ce qu’on dit c’est que le SMAG n’est pas suffisant. Ce ne sont pas des salariés ruraux, qui ont d’autres ressources, autre que  leur travail, ils payent tous leurs besoins et ceux de leurs familles par ce salaire. On est aussi d’accord que le secteur a connu une importante amélioration durant ces dernières années, mais il faut quand même la consolider. 

HTN : c’est quoi votre prochaine étape ?

L. Boulberj : C’est de continuer la mise à niveau sociale du secteur agricole, de mettre le point sur la formation continue et de continuer le dialogue entre les deux parties. On va continuer notre travail pour l’amélioration des conditions des ressources humaines de ce secteur sans porter atteinte à la tomate marocaine.

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