Agrumes : « L’EACCE et la profession doivent revoir les paramètres fixés cette année » Seddik Belghiti (Priagrus, Maroc)

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M. Seddik Belghiti, responsable technique de la station de conditionnement Priagrus. Technicien supérieur de l’institut agronomique et vétérinaire Hassan II, promotion 1990, M. Seddik a occupé ce poste depuis 15 ans après avoir travaillé 10 ans à la SASMA (Société Agricole de Services au Maroc).

Nous l’avons rencontré pour nous livrer son évaluation de la  campagne agrumicole 2014-2015.

HortiTechNews : A la lumière des résultats, en termes de rendement et de prix, comment évaluez-vous le résultat de cette campagne agrumicole ?

Seddik Belghiti : A mon avis, en termes de rendement je peux dire  que la campagne était moyenne, sauf pour quelques variétés, comme la Nour qui a connu de faibles volumes. Mais en termes d’exportation, cette année a connu une baisse considérable de tonnage exporté. Ceci est dû principalement aux nouvelles exigences établies par la profession et l’EACCE, ainsi qu’aux dégâts des fortes précipitations qu’a connues la région de Souss-Massa-Draa, (qui ont dépassé les 300 mm) ce qui a eu un impact sur la qualité du fruit, surtout pour les petits fruits. Il faut souligner qu’à cause de ces deux paramètres environ 40 à 50% de notre production a été écartée.

Concernant les prix, nous ne pouvons pas trancher pour le moment, mais elle reste quand même une campagne mieux que les précédentes. 

HTN : En prenant en compte ce qui s’est passé durant les 3 dernières campagnes, quelle serait à votre avis une répartition optimale en termes de variétés et de porte-greffes ?

M. S. Belghiti : C’est difficile de faire un choix ! Mais à mon avis si on a  une nouvelle plantation d’agrumes, elle sera répartie comme suit :

60% de la superficie sera consacrée aux petits fruits dont 30% pour les variétés tardives et 30% pour les précoces. Les 40% restantes seront répartis en 20% pour les oranges demi-saisons, (à savoir la Washington sanguine et l’Ortanique), et 20% pour la Maroc late.

Pour les portes greffes, ça serait principalement le Citrange Carrizo ou bien le C35  pour les petits fruits et le volkameriana ou le C35 pour les oranges.

HTN : Pourquoi le choix de ces porte-greffes ?

M. S. Belghiti : Ce que nous visons actuellement, dans notre stratégie, c’est la production en terme de rendement et  la qualité gustative qui est devenue un facteur limitant pour nos exportations. Vu les problèmes qu’a connus le secteur lors des dernières années, je pense que ces porte-greffes, avec une bonne conduite (irrigation ; fertilisation), nous permettraient d’avoir une bonne production en terme de qualité et quantité  et répondre aux exigences fixées par nos clients.

HTN : Parmi l’ensemble des exigences requises par l’EACCE cette campagne, quelles sont à votre avis celles qui étaient démesurées ?  

M. S.Belghiti : A mon avis il y a certains  paramètres qui sont difficiles à atteindre, notamment la valeur de 10 pour le brix surtout pour les nouveaux portes greffes ; le pourcentage de calice toléré, à savoir les 5% fixés au départ est presque impossible ; heureusement que la profession l’a ramené à 20%. Il y’a aussi l’intensité de marbrure ainsi que le paramètre de la coloration spécifique, qui est aussi difficile à atteindre après le déverdissage pour certaines variétés comme la Nulles, Orograndé que nous récoltons en début octobre.

De même pour la fixation de la date de démarrage des exportations, à mon avis, il ne fallait pas fixer une date pour le début des récoltes. Il y a certaines variétés précoces qui ont été condamnées à cause de cette décision. Peut-être il faudra réfléchir à une date pour les variétés précoces et une autre pour les tardives. Et il se peut qu’il ne faudra même pas exiger une date si on arrive à respecter le E/A, le brix, le taux de jus, la coloration …

HTN : Est-ce qu’il y’a d’autres exigences qui doivent être prises en compte ou renforcées?

S. Beghiti : Je pense que la partie sécurité alimentaire doit être renforcée, surtout les contrôles sur les taux de résidus de pesticides, c’est l’exigence actuelle du marché et une clé importante si on veut conquérir de nouveaux marchés. 

HTN : A votre avis quel est le taux de Brix optimal qu’on pourrait définir  comme norme ?

S. Belghiti : Je pense que le taux de brix avec lequel nous avons travaillé les années précédentes était bien adapté. Un taux de 9 est un E/A (extrait sucre/acidité) de 8 est largement suffisant pour avoir un bon fruit de bonne qualité, mais il faut que les stations de conditionnements assument leur responsabilité quant au respect de ces paramètres.

Nous reconnaissons tout de même que, grâce à la collaboration entre la profession et l’EACCE, nous avons pu retrouver nos places sur des marchés exigeants, sur lesquels nous étions peu présents auparavant (tel le Canada et les USA).

HTN : Vue la crise économique que connait le marché russe et ses conséquences sur nos ventes d’agrumes, quelle est actuellement l’orientation de la production nationale ?

S. Belghiti : Cette année, nous sommes arrivés à exporter plus de produits vers les pays de l’Amérique du nord, à savoir les Etats unis et le Canada, qui ont reçu 25% de notre production de clémentines alors qu’ils ne dépassaient pas les 15 % dans les années passées. Aussi, nous avons pu exporter un peu vers les pays du golf, notamment les EAU et l’Arabie Saoudite, un tonnage estimé à 2 à 5% de nos exportations. Nous avons aussi augmenté un peu notre part de marché vers l’Union Européenne et l’Afrique (principalement le Sénégal, le Mali et la Mauritanie) malgré que ce dernier marché souffre d’une très mauvaise organisation.

Ainsi, le pourcentage export destiné à la Russie a baissé à 45% alors qu’il était de 60 à 65% les années précédentes.

HTN : Comment compter affronter la concurrence de l’Espagne sur le marché Européen ?

M. S. Belghiti : L’Espagne est le principal fournisseur de l’UE en agrumes, mais je pense que le produit marocain est entrain de se doter d’une bonne qualité suite aux efforts techniques de nos producteurs. Avec cette nouvelle organisation du secteur il pourra rivaliser l’Espagne. En plus, si nous travaillons davantage pour augmenter nos rendements à l’hectare, nous pourrons   baisser les coûts de revient de nos produits et les rendre plus compétitifs sur ce marché.

HTN : L’année passée, nous avons remarqué qu’un très faible tonnage d’oranges a été exporté, cette année tout laisse à penser que  nous allons revivre le même schéma, à votre avis quel est l’avenir des oranges marocaines ?

S. Belghiti : Effectivement, c’est un grand problème qui se pose pour les oranges tardives (Maroc late), surtout après que l’Egypte s’est installée sur nos marchés traditionnels à savoir la Russie et l’Europe. C’est notre plus grand concurrent, ils sont plus compétitifs que nous en termes de prix (ils sont à environ 50% de notre coût de revient).

Pour faire face à cette situation, je pense qu’il faudrait organiser le marché local qui a un grand potentiel. En effet, il consomme actuellement environ 70% de notre production mais qui est malheureusement désorganisé, ce qui réduit l’offre commercialisable  de 30 à 40% par les pertes et le gaspillage et les mauvaises pratiques. Il faut aussi encourager la transformation. Nous sommes un pays producteur d’oranges mais paradoxalement nous importons en jus l’équivalent de 600 000 tonnes d’orange de l’étranger. C’est à la profession de s’orienter vers cette spécialité, mais elle doit être également encadrée par les organismes étatiques. Nous devons lutter par tous nos moyens pour que les producteurs ne continuent pas à abandonner ce secteur.

HTN : D’après l’historique de l’agrumiculture marocaine, les exportations agrumicoles, depuis toujours, ne dépassent pas les 600 mille tonnes alors que la production marocaine à dépassé le 1 million 200 mille tonnes, certains producteurs n’hésitent pas à pointer du doigt le Plan Maroc Vert comme cause à ce déséquilibre  entre l’offre et la demande. Quel est votre avis ?

S. Belghiti : le Plan Maroc Vert a donné une grande opportunité aux agriculteurs pour produire et augmenter leurs rendements, mais les producteurs n’arrivent pas à trouver des marchés pour écouler leurs productions. Il faudra que les producteurs en collaboration avec le Plan Maroc Vert trouvent d’autres marchés et assurent un encadrement technique afin d’améliorer la qualité et le rendement. Dans la situation actuelle, je pense qu’il faudra tout d’abord arrêter les plantations et s’orienter vers la conquête de nouveaux marchés. Les subventions qui sont attribuées aux plantations doivent être orientées vers la commercialisation des produits (fret, communication, logistique..).

HTN : Nous savons qu’actuellement plusieurs agrumiculteurs sont en difficulté financière, ainsi de grands producteurs ont des impayés et ont commencé à céder quelques domaines pour sauver le reste, d’autres ont laissé leurs fermes à l’abandon. Pensez-vous que c’est le début de la fin pour le secteur agrumicole au Maroc ?

S. Belghiti : Peut-être que c’est le début de la fin pour quelques producteurs qui n’arrivent pas à s’organiser ou se regrouper sous forme de coopératives ou stations de conditionnement pour répondre aux demandes du marché et bien valoriser leurs productions. Malheureusement c’est le cas de plusieurs petits producteurs.

HTN : Est-ce que Maroc citrus ne prévoit pas de demander des aides ou des outils spéciaux pour surmonter cette crise ?

S. Belghiti : Je pense que c’est encours, Maroc Citrus a contacté le ministère pour avoir des subventions pour conquérir de nouveaux marchés, ainsi que pour revoir toute la stratégie de commercialisation.

HTN : D’après toutes ces données, quelle est la stratégie à suivre pour les prochaines campagnes ?

S. Belghiti : Il faut plus de coordination entre les groupes exportateurs, et continuer avec la même stratégie adoptée  tout en allégeant les exigences imposées au secteur.

Il faut également encourager la recherche scientifique dans ce domaine afin de mieux orienter les producteurs à surmonter les différents problèmes qualitatifs des nouveaux portes greffes et nouvelles variétés, notamment la taille, l’irrigation, la fertilisation.

HTN : Il y a actuellement une très bonne floraison qui, logiquement, devrait donner une bonne production, est-ce que le scénario de la campagne 2013-2014 risque de se répéter ? Que conseillez-vous les agriculteurs afin d’éviter ceci ?  

S. Belghiti : C’est vrai que cela s’annonce bien pour la campagne prochaine, surtout avec les dernières précipitations qui vont garantir des fleurs d’une meilleure qualité. D’abord il faut être vigilant de la teigne de citronnier et bien gérer l’application de l’AG3. D’après notre expérience, nous conseillons de se limiter à une seule application pour les clones à petits calibres qui est suffisante pour avoir un bon calibre. Si on augmente les applications de l’AG3 pour ces clones nous aurons plus de fruits mais à petit calibre. Par contre pour les clones à gros calibre nous conseillons 2 à 3 applications selon le type de floraison et la production souhaitée. De plus, il y a d’autres paramètres techniques à bien  gérer tels que l’irrigation, la fertilisation et l’utilisation des hormones… pour assurer une bonne qualité gustative et un bon calibre des fruits.

 

 

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