ALECA: La menace plane sur le secteur agricole tunisien
L’UTAP refuse catégoriquement de signer l’accord de l’ALECA dans sa version actuelle.
L’accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA) fait encore des vagues. Entre adhérents et opposants, les points de vue sur cette initiative divergent.
Pour l’Union Tunisienne de l’Agriculture et de la Pêche (UTAP), le refus est catégorique. Pas question d’accepter cet accord dans sa forme actuelle, lance-t-elle dans un communiqué de presse rendu public, dimanche 5 mai 2019.
Selon l’UTAP, la réhabilitation du secteur agricole est une priorité nationale qui ne pourra pas être rattachée au dossier du partenariat avec l’Union européenne. Une ligne rouge, qui selon lui, menacerait la pérennité du secteur et affecterait la souveraineté alimentaire et la compétitivité des produits agricoles tunisiens.
Dans un rapport intitulé “ALECA et agriculture: Au-delà des barrières tarifaires”, l’Observatoire Tunisien de l’Economie (OTE) pour le compte de l’UTAP et de la fondation Rosa Luxemburg a levé le voile sur les retombées néfastes de cet accord sur l’agriculture tunisienne.
Il démontre une
injustice tarifaire qui pénalise la Tunisie. “L’effort asymétrique de
démantèlement tarifaire sera supporté essentiellement par la Tunisie du fait
du profil de régime tarifaire des deux parties” dénonce-t-il.
Pire, cet accord
n’ajoute presque rien pour la Tunisie. “La majorité des
produits agricoles et de pêche tunisiens exportés vers l’UE bénéficient déjà
d’un régime préférentiel (huile d’olive, dattes, thon, crevettes, tabac),
tandis que les produits majoritairement importés de l’UE sont encore relativement
protégés par des droits de douanes élevés (30% en moyenne sur tous les produits
agricoles et de pêche)”, explique-t-il.
Le rapport a également mis en lumière l’importance cruciale du soutien interne agricole de l’UE dans sa stratégie commerciale “offensive et défensive”. “Pour ce qui concerne les échanges entre l’UE et la Tunisie, nous avons estimé l’impact de ce soutien interne sur le niveau de dumping des exportations agricoles européennes vers la Tunisie et le niveau de protection totale que permet ce soutien interne. Ainsi, alors que les négociations sur l’accès au marché des deux parties se concentrent essentiellement sur le démantèlement tarifaire, nous avons démontré, pour les produits estimés, que l’Union Européenne protège son marché intérieur beaucoup plus via sa politique de subvention, qui lui permet de baisser artificiellement ses prix intérieurs, que via son régime tarifaire” regrette-t-il.
À cet effet, l’OTE recommande de “ne pas négocier un accord de libre échange pour le secteur agricole tant que la question du soutien interne de l’UE n’est pas clarifiée au niveau de l’Organisation Mondiale de Commerce”.
D’après l’Observatoire, la Tunisie doit s’aligner au normes européennes SPS (Sanitaires et phytosanitaires) or ces dernières sont “différentes des normes internationales et elles constituent l’un des systèmes SPS les plus complexes et strictes”. Cette harmonisation s’avère être un handicap de plus pour le pays.
Ainsi, l’OTE
estime qu’il est plus judicieux de “s’en tenir aux normes internationales et au
respect de l’accord de l’OMC sur les normes SPS
pour le chapitre SPS de l’ALECA, (s’inspirer d’un article similaire à l’accord
agricole entre l’UE et le Maroc)”.
Il a appelé,
d’autre part, à mettre en avant et privilégier le système de reconnaissance
d’équivalence des normes, par le biais d’accords de reconnaissance mutuelle.
Grâce à ces derniers, “les producteurs
nationaux n’ont pas besoin de modifier leurs procédures et normes comme ils le
feraient dans le cadre d’une harmonisation.”
L’OTE souligne également la nécessité de privilégier le choix des normes internationales et non pas européennes lors de la préparation des décrets d’application de la loi sur la sécurité sanitaire et aussi dans les guides de bonnes pratiques qui seront mis en place dans le cadre de la loi, tout en s’inspirant du Maroc qui a privilégié les normes internationales.
Pour le président du SYNAGRI, Karim Daoud, l’agriculture tunisienne aura besoin au moins d’une période d’adaptation de 15 ans en prévision de l’ALECA. Les 10 ans proposés par l’UE ne seront pas suffisants compte tenu de plusieurs facteurs dont les échéances politiques de la Tunisie (élections de 2019).
Le développement de l’agriculture tunisienne est confrontée à plusieurs défis, a noté Daoud, citant les limites du modèle agronomique tunisien, la forte pression sur les ressources naturelles et les changements climatiques, la dégradation de la sécurité alimentaire, le déficit de la compétitivité des prix et la diminution des investissements publics dans ce secteur sans que cette diminution ne soit remplacée par une hausse des investissements privés.
Pour toutes ces raisons et bien d’autres, cet accord pourrait, d’après ces experts, nuire au secteur agricole tunisien.
Source : huffpostmaghreb.com/