Le californien Driscoll’s en quête de la fraise parfaite
Ce producteur de fruits rouges est devenu leader mondial en créant des variétés de fraises qu’il vend sous licence aux agriculteurs.
Sur les étals des supermarchés américains, les pommes et les bananes sont de plus en plus délaissées pour les fraises, quatrième fruit le plus consommé aux Etats-Unis. La majorité d’entre elles sont produites par Driscoll’s, une entreprise familiale non cotée qui revendique la place de premier producteur de fraises au monde. « Nous sommes leader sur presque tous les marchés », affirme Kevin Murphy, son PDG. D’abord aux Etats-Unis, où l’entreprise a 40 % de parts de marché sur les fraises – et 85 % sur les framboises -, mais aussi en Europe et en Australie, où le groupe peut revendiquer une première place, car le marché y est fragmenté.
La majorité des fruits sont produits en Californie, notamment près du siège de l’entreprise, à Watsonville, à 110 kilomètres au sud de San Francisco, où une grande bande de terres cultivées s’étend le long de l’océan Pacifique. Le Golden State constitue l’épicentre de la production de fraises aux Etats-Unis avec 90 % du total, car il jouit d’un climat favorable, avec des journées ensoleillées et des nuits brumeuses. Et pour s’assurer que les consommateurs américains peuvent acheter des fraises cinquante-deux semaines par an, Driscoll’s a étendu sa présence en Floride, au Mexique, au Chili et au Canada.
Stations de recherche
La société ne communique pas son chiffre d’affaires, mais indique qu’il croît chaque année de 15 %. Si les ventes américaines représentent toujours plus de la moitié des revenus de la société, cette part a diminué au fil des ans avec l’expansion internationale de la société. Elle s’est d’abord installée en Europe dans les années 1990, cultivant des fraises dans des champs espagnols, portugais et scandinaves, mais aussi au Maroc et en Afrique du Sud pour satisfaire les consommateurs européens en hiver. La société se développe désormais en Australie et en Chine.
Driscoll’s a acquis cette première place grâce à un modèle original s’éloignant de l’intégration verticale de la majorité des autres producteurs : l’entreprise ne cultive pas elle-même les fraises, mais passe des partenariats avec des agriculteurs, à qui elle licencie ses variétés contre 15 % de leurs recettes. Elle intervient également à la fin de la chaîne de production en jouant le rôle de distributeur – la société se charge d’emballer les fruits, de les transporter et de les vendre aux supermarchés et aux restaurants.
C’est son programme de développement de variétés, l’un des plus importants au monde, qui fait sa force et lui permet de vendre ses fraises à un prix 15 à 20 % plus élevé que le reste du marché. La société propose ainsi une vingtaine de variétés à 7.000 agriculteurs aujourd’hui. Son programme date d’avant même la naissance de la société : en 1944, un groupe d’agriculteurs crée le Strawberry Institute of California, dédié au développement de nouvelles variétés plus performantes et goûtues. Driscoll’s Strawberry Associates, une coopérative d’agriculteurs créée en 1953, fusionne avec l’institut en 1966. Aujourd’hui, la société comprend une équipe d’une soixantaine de scientifiques répartis dans une douzaine de stations de recherche à travers le monde entièrement dédiés à la création de la fraise du futur.
Guerre des brevets
Avant la commercialisation d’une variété, il faut compter six à huit années de développement. Les chercheurs doivent jouer avec la complexité du génome de la fraise, qui comprend huit sets de chromosomes, contre une paire seulement pour les humains, ce qui augmente les combinaisons possibles. Leur objectif est d’améliorer « le goût, la taille, le rendement et la durée de vie », souligne Kevin Murphy, en tenant compte des différences de goûts à travers le monde. Les Américains préfèrent ainsi les grosses fraises rosées, en forme de coeur, très sucrées, alors que les Français leur préfèrent les petites rouges acidulées. Les habitants d’Hong Kong raffolent, eux, d’une variété blanche. La société cherche aussi à créer des variétés facilitant la collecte pour les travailleurs agricoles, d’autant plus que l’industrie souffre d’une pénurie. Elle a mis au point la Del Rey en 2009, une variété peu broussailleuse et dont le fruit pend sur le côté, ce qui la rend plus facile à ramasser.
La majorité des autres agriculteurs s’appuient sur les 1.600 variétés développées par l’université UC Davis. Des brevets si précieux qu’ils font l’objet d’une guerre entre l’université et Douglas Shaw, l’ancien directeur du département, à la tête du programme pendant plus de deux décennies. L’université lui reproche d’avoir utilisé la propriété intellectuelle de l’institution pour s’enrichir personnellement en lançant California Berry Cultivars, une entreprise privée… qui cherche à concurrencer Driscoll’s.
Source : lesechos.fr