Fiscalité agricole Les ingrédients d’un faux départ
Des difficultés à la pelle surgissent en ce qui concerne la mise en pratique de la fiscalité agricole. Le flou est quasi-total aussi bien quant à la qualité du contribuable et des bases imposables. Sous le thème: «La fiscalité agricole sème le trouble», la rencontre organisée vendredi dernier à la Chambre française du commerce et d’industrie du Maroc a drainé un grand nombre de spécialistes venus de plusieurs villes du Royaume. «L’article 46 du code général des impôts introduisant la fiscalisation du secteur agricole est jugé politiquement très fort, mais difficile à mettre en pratique», constate d’emblée Brahim Bahmad, expert-comptable. Le texte soulève beaucoup d’interrogations et n’apporte que peu de réponses. Surtout lorsqu’il est approché par rapport à la législation française. Même la circulaire 722 de la DGI sur les nouvelles dispositions de la loi de finances 2014 maintient le flou sur plusieurs aspects. A commencer par la définition des contribuables et du périmètre des activités imposables. «Sont considérés comme revenus agricoles, les bénéfices réalisés par un agriculteur et/ou éleveur provenant de toute activité inhérente à l’exploitation d’un cycle de production végétale et/ou animale dont les produits sont destinés à l’alimentation humaine ou animale ainsi que des activités de leur traitement à l’exception de la transformation industrielle», dispose l’article 46 du CGI. A l’analyse, le texte ne définit ni l’agriculteur ni l’éleveur et passe sous silence les exploitations tenues par des investisseurs.
Par contre, la législation française renvoie à l’activité agricole et non pas à une catégorie professionnelle de la personne qui réalise le bénéfice agricole. Quid aussi du cycle de production? De la semence jusqu’à la récolte? De la naissance du bétail jusqu’à sa vente? Le code général des impôts n’apporte pas des précisions alors que le texte français énumère les différents stades de croissance des végétaux et des animaux.
De plus, le législateur marocain exclut du champ du revenu agricole toutes les activités destinées à une utilisation autre qu’alimentaire: l’exploitation forestière, les plantes médicinales, aromatiques, les pépinières, les cultures ornementales et celles destinées à la production d’énergie. Ces activités basculent dans le domaine industriel et commercial et sont donc imposables quel que soit le niveau du revenu. Le même constat est relevé pour l’élevage. Au sens du CGI, «est considérée comme production animale celle relative à l’élevage des bovins, ovins et caprins». Cette disposition exclut plusieurs espèces animales : aviculture, animaux de basse-cour (canards, dindes, lapins), l’élevage des chevaux et autres équidés, des porcs, l’apiculture et l’aquaculture. Ces activités relèvent du droit fiscal commun. A tel point que de nombreux spécialistes estiment que «l’exonération des revenus agricoles inférieurs à 5 millions de DH est une chimère». Et nombreux les petits agriculteurs qui associent ces types d’élevage à leur activité agricole qui risquent de trinquer. «L’essentiel de cette catégorie se trouve dans une frange de revenu égal ou inférieur à 100.000 DH».
Pourtant, les services des Finances tablent sur la fiscalisation d’un maximum de 1.100 contribuables agricoles à l’horizon 2020 pour une masse estimée à 5 millions d’exploitants. L’idée est qu’à cette échéance, les revenus dépassant le plafond de l’exonération soient fiscalisés. Mais de nombreuses questions restent sans réponse. «Comment un exploitant individuel peut-il savoir qu’il réalise un chiffre d’affaires inférieur à 5 millions de DH s’il n’a pas l’obligation fiscale de tenir sa comptabilité», s’interroge Bahmad. Qu’en est-il aussi de l’exploitant agricole qui se trouve à la limite du seuil d’exonération? Et comment peut-il prouver à l’administration qu’il réalise un chiffre d’affaires exonéré? Autant d’interrogations soulevées. Au-delà, l’imposition à l’IS et à l’IR est basée sur le régime du résultat net réel. Quid alors de l’amortissement d’une vache ou d’un oranger ? Ce qui fait dire à certains experts-comptables que le texte sur la fiscalité agricole a été préparé dans la précipitation.
Source : leconomiste