La Douane taxe la tourbe à 20%

Les professionnels montent au créneau et réclament le maintien de l’exonération. A défaut, le recours à l’importation dans le régime suspensif des droits et taxes.

Les producteurs de tomates voient rouge. Ceci, depuis qu’ils ont appris, à leurs dépens, la taxation à 20% de la tourbe. Ce substrat est, incontournable pour l’installation des cultures maraîchères, en particulier les tomates. La nouvelle est tombée le 20 mai dernier via une note circulaire de l’Administration des douanes et impôts indirects (ADII) adressée aux divers services régionaux.

Il en ressort : «La question a été posée de savoir si la tourbe, relevant de la position SH: n° 27.03, est éligible au bénéfice de l’exonération à l’importation lorsqu’elle est destinée à l’usage agricole». (Sic). «A ce sujet, il est précisé qu’en application des dispositions de l’article 123-15 du Code général des impôts, l’exonération de la TVA à l’importation est accordée à une liste limitée de produits et de matériels. Etant donné que la tourbe n’est pas reprise par la liste, ce produit n’est pas éligible à l’exonération de la TVA» (Re-sic). 

Effectivement, l’article en question, notamment son alinéa 5, a été modifié et la tourbe a disparu de la liste. Seulement, la disposition remonte à 2014. Pourquoi a-t-on alors mis 5 ans pour l’appliquer ? A-t-elle été introduite par la loi de finances de l’année 2014 ? Comment se fait-il que ni les services de douane et leurs auxiliaires (transitaires) ni les professionnels n’y ont prêté attention ?

Sollicité par L’Economiste pour un éclairage sur ces questions, le DG de l’ADII ne s’est pas prononcé malgré les multiples relances par mail et par texto.

Pourtant, l’enjeu est d’importance capitale : l’import de la tourbe porte sur 90.000 tonnes par an pour une valeur d’environ 700 millions de DH. C’est dire l’importance de la recette pour la douane et le surplus de coût pour les primeuristes. D’autant plus que la majorité d’entre eux ne récupère pas la TVA. Et pour cause ! Le primeuriste non exportateur direct est considéré comme consommateur final.

Pour les professionnels, l’impact de la mesure est aussi déterminant sur d’autres coûts liés à la protection des végétaux. « L’utilisation de la tourbe permet d’éviter les traitements contre les maladies et ravageurs qui prolifèrent dans le sol», explique un primeuriste d’Agadir. D’autres n’hésitent pas à exprimer leur inquiétude quant au recours massif aux pesticides d’importation frauduleuse.

C’est pourquoi l’Association des producteurs et exportateurs de fruits et légumes considère la taxation de la tourbe comme mesure pénalisant la compétitivité des produits marocains à l’export. Elle crée des distorsions de concurrence vis-à-vis d’opérateurs européens, notamment espagnols, français, hollandais…

A leurs yeux, «la nouvelle taxation et le refus d’appliquer les régimes économiques en douane (Admission temporaire ou importation temporaire), «la Douane s’attaque aux derniers édifices dont bénéficient les producteurs marocains », souligne l’Apefel. Elle considère que le gain en termes de rentabilité et d’export pour le secteur des fruits et légumes est plus important que la quête à la recette douanière. Pourtant, tout portait à croire que la Douane s’engageait dans une démarche d’encouragement de l’investissement.

Sa publication « Douane et promotion de l’investissement», parue après la modification de l’article 123-15 du Code général des impôts, illustrait parfaitement l’approche. L’annexe III répertoriait toute une liste de produits et matériels bénéficiant d’une fiscalité préférentielle, y compris la tourbe. Pourquoi ce retournement ? s’interrogent les professionnels.

Dans l’espoir d’un redressement de la situation qui coïncide avec la préparation du lancement de la prochaine campagne, la profession a saisi le ministère de l’Agriculture et la Direction générale des douanes. Mais jusqu’à présent sans réponse. « Elle envisage dans un ultime recours de demander un rendez-vous au DG de l’ADII », nous confie un membre de l’association.

Parmi les propositions sur la table, le retour au régime appliqué avant l’exonération de la tourbe, l’importation dans le cadre de l’admission temporaire. Dans ce régime suspensif des droits et taxes, l’apurement se faisait sur la base d’un constat d’installation des cultures par des agents des Offices de mise en valeur agricole.

L’or de l’horticulteur

La tourbe est très largement utilisée en horticulture, notamment pour sa forte rétention en eau, qui convient aux semis. C’est le produit de la fossilisation de débris végétaux sur plusieurs milliers d’années dans des milieux humides désignées tourbières. Sa composition physique et chimique dépend de nombreux facteurs comme la nature de la végétation, le climat et l’acidité de l’eau. La tourbe est constituée à raison de 80 à 90%  d’eau et de cendre. Les 10 à 20% restants correspondent à la matière organique décomposée. A noter que la tourbe se constitue à hauteur de 5 centimètres par siècle.

Selon le type de végétaux dont elles sont issues, on classe habituellement les tourbes en 3 catégories :

– La tourbe blonde provient de la lente transformation des sphaignes. Elle est riche en fibre de cellulose et en carbone. Ses autres traits essentiels sont sa faible densité, sa forte teneur en eau et sa pauvre teneur en cendre minérale car souvent jeune (2000 ans).

– La tourbe brune provient de la transformation de débris végétaux ligneux (arbres divers) et d’éricacées. Elle est composée de fibres mélangées à des éléments plus fins, provenant d’une dégradation plus poussée des végétaux. Elle est plus âgée (5.000 ans) que la précédente.

– La tourbe noire provient de la transformation des cyperaceae. Riche en particules minérales et organiques fines, elle contient moins de carbone et plus de cendres. Sa texture est le plus souvent moins fibreuse. Visuellement, la tourbe noire se distingue facilement de la tourbe blonde par sa couleur foncée.

Toutes les tranches fiscalisées à fin 2019

D’ici fin décembre 2019, l’ensemble des producteurs de fruits et légumes sous serre seront imposés. La première tranche de 35 millions de DH a été assujettie à l’IR et à l’IS le 1er janvier 2016. Celle réalisant un chiffre d’affaires de 20 millions de DH a été totalement imposée en 2018. Et la dernière qui cible les exploitants agricoles réalisant un chiffre d’affaires inférieur à 10 millions de DH rejoindra le peloton l’année prochaine. Sauf, qu’une grande majorité de la dernière catégorie ne récupère pas la TVA du fait qu’elle est considérée comme consommatrice finale.

Source : leconomiste.com

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