« Il ne faut pas considérer qu’on va tout régler en interdisant les néonicotinoïdes »
L’interdiction des pesticides néonicotinoïdes est une « bonne mesure », mais il ne faut pas croire qu’elle va résoudre tous les problèmes pour les abeilles. L’écotoxicologue Axel Decourtye, directeur scientifique et technique de l’Institut de l’abeille, est sceptique quant à « l’après-néonicotinoïdes ».
Après des années de controverses, les pesticides néonicotinoïdes seront bannis à partir du 1er septembre 2018 en France. Une interdiction destinée à protéger les colonies d’abeilles en déclin mais dénoncée par les agriculteurs qui réclament du temps pour développer des alternatives. L’écotoxicologue Axel Decourtye fait le point sur la situation et les enjeux d’une telle mesure.
Les néonicotinoïdes sont souvent appelés les « tueurs d’abeilles ». Est-ce un qualificatif adapté ?
« Depuis l’arrivée des néonicotinoïdes sur le marché dans les années 1990, ces insecticides sont classés toxiques pour les abeilles, donc à certaines doses, ils les tuent directement. Ce que soupçonnaient les apiculteurs, c’est qu’en plus, à de faibles doses, il y avait des effets comportementaux : elles sont désorientées et ne rentrent pas à la ruche. Nous avons confirmé cela dans notre équipe : même à des doses qui ne tuent pas directement, les butineuses ne reviennent pas à la ruche, et cela les condamne. Mais l’appellation « tueurs d’abeilles » semble indiquer que ces insecticides sont une exception, or tout insecticide peut tuer l’abeille ».
Est-ce malgré tout une bonne nouvelle de les interdire ?
« Oui, c’est une bonne mesure, si elle s’accompagne d’une identification des alternatives pour les agriculteurs. Vu leur toxicité, on imagine que leur interdiction va améliorer les choses. Mais il faudrait avoir un moyen de surveiller la santé des abeilles de façon fiable, pour savoir si, lorsqu’on va enlever les néonicotinoïdes, ça va améliorer les choses. Afficher qu’il s’agit aujourd’hui de la première cause de mortalité des abeilles ne repose sur aucun élément scientifique rigoureux. Les causes sont multiples donc il ne faut pas considérer qu’on va résoudre tous les problèmes en faisant ça, qu’on va sauver toutes les abeilles en faisant ça. Il y a d’autres combats à mener de front. »
Quelles sont les autres menaces qui pèsent sur les abeilles ?
« Il faut lutter contre les maladies et les prédateurs, contre la dégradation des habitats, l’appauvrissement de la flore. Et dans une ruche en France, vous allez retrouver bien d’autres résidus de pesticides que les néonicotinoïdes. Il faudrait éviter que l’abeille ne soit exposée directement au produit. C’est pour ça qu’il faut réduire la rémanence des produits. Une des particularités des néonicotinoïdes, avec leur toxicité à faible dose, c’est leur rémanence dans l’environnement: on peut en retrouver dans des plantes qui ne sont pas traitées, dans des plantes sauvages, des années après leur usage. Il faut absolument trouver des insecticides moins rémanents.
Il faudrait en plus que les agriculteurs pulvérisent leur produit quand les abeilles ne sont pas là, ça veut dire la nuit. Mais il faut trouver les moyens réglementaires, de faisabilité, pour qu’ils puissent le faire sans prendre de risques pour leur santé, sans que ça aille à l’encontre de l’organisation du travail. Des agriculteurs commencent à le faire. Mais on sait bien que la solution la plus prometteuse, c’est évidemment de trouver des alternatives autres que des insecticides chimiques: c’est l’agroécologie, utiliser la régulation biologique, le biocontrôle. »
Source: https://www.sciencesetavenir.fr