Palmier-dattier: nouvel eldorado ou mirage du désert?
Or brun du Tafilalet, une variété très appréciée de dattes, la «Mejhoul», attire de plus en plus d’investisseurs connus, dont de grands groupes financiers et industriels. Les pouvoirs publics ont également mis le paquet, côté subventions, pour redonner un nouvel élan à cette filière qui était en déperdition. Enquête.
Une datte sur quatre, posée sur votre table de ftour, provient de l’étranger. Elle peut-être cette «Sukkari» importée d’Arabie saoudite, des Emirats Arabes Unis ou de Jordanie. Ou encore la «Deglet Nour», arrivée de Tunisie dont le premier marché d’exportation pour les dattes, d’ailleurs, n’est autre que le Royaume. «Avec les grandes quantités produites dans ces pays et l’absence de barrières douanières, leurs variétés se vendent au Maroc entre 10 et 30 dirhams le kilo. Cela est attractif pour le consommateur marocain, mais ne favorise pas forcément la production locale qui se positionne autrement», nous explique un opérateur du secteur.
Les variétés marocaines sont effectivement bien plus onéreuses. Les plus accessibles démarrent à 50 dirhams le kilo, comme la «Boufegouss» ou la «Nejda». Il y a aussi cette «Aziza», typique à l’oasis de Figuig, qui a tant fait couler d’encre récemment. Mais il y a aussi la «Majhoul», la Rolls des dattes, mondialement prisée, au point qu’elle est clonée en Israël ou en Californie, dont la production se fraye, depuis quelques années, un chemin sur les étalages marocains, allant parfois jusqu’à 200 dirhams le kilo.
Somme toute, le Maroc importe annuellement 40 à 50.000 tonnes de dattes, et en produit jusqu’à 140.000 tonnes, avec des exportations ne dépassant pas les 300 tonnes. Et encore, la balance commerciale aurait penché davantage, n’était l’effort phénoménal consenti cette dernière décennie par les pouvoirs publics. Car jusqu’à récemment, le Royaume importait le tiers de sa consommation, qui avoisine les 3 kg par an et par habitant. «Et encore, c’est la consommation dans les zones de production traditionnelles, de l’ordre de 15 kg/hbts, qui permet de booster la moyenne nationale», nuance Ismaïl Rachidi, originaire d’Errachidia, et qui fait partie de ces nouveaux promoteurs qui ont investi cette filière du palmier-dattier.
Sauvegarde et plantations
La filière a en effet été parmi les premières à faire l’objet d’un contrat-programme, en 2010, dans le cadre du déploiement du Plan Maroc Vert. L’idée était de développer et valoriser ce secteur tout en préservant et en modernisant les zones de production traditionnelles dans le Draâ, le Tafilalet ou encore à Figuig. «Les 15 millions de pieds qui peuplaient historiquement les oasis marocaines avaient été décimés par la maladie du Bayoud. Moins de 4 millions de pieds étaient encore fertiles au début du XXIe siècle avec une productivité des plus modestes», nous explique une source de l’Agence nationale pour le développement des zones oasiennes et de l’Arganier (Andzoa).
Depuis 2010, il a ainsi été procédé au nettoyage de plus de 1,8 million de touffes au niveau des oasis. La culture y est devenue encore plus moderne suite au renforcement du rythme de production de souches de vitro-plants, rendue possible grâce au travail de l’Institut national de recherche agricole (INRA). En plus de l’instauration de huit variétés de signe distinctif d’Indication Géographique Protégée (IGP), le paquet a été mis sur les capacités de production de bourgeons végétatifs à travers la création de plusieurs laboratoires dédiés.
Cet effort est venu accompagner un ambitieux plan de plantation, lancé par le roi Mohammed VI, en novembre 2009, dans la commune de Sifa à Errachidia. Depuis le premier arbuste planté par le souverain, ce sont plus de 3 millions de pieds qui ont pris racine, dépassant l’objectif fixé par le Plan Maroc Vert, bien avant son arrivée à échéance en 2020. «La superficie a connu, de son côté, une progression de plus de 50% pour dépasser désormais les 65.000 hectares», affirme-t-on du côté du ministère de l’Agriculture.
Stars du business dans le Mejhoul
Au-delà de la modernisation et l’intensification des cultures dans les zones traditionnelles, une assiette foncière de 28.400 ha de terrains adaptés à la culture du palmier a été mise à la disposition des investisseurs. C’est ainsi que sur la route reliant Errachidia et Boudnib, le paysage désertique s’est transformé en une véritable oasis verdoyante. Des exploitations modernes sont sorties de terre, s’étendant sur des centaines d’hectares. Ces nouveaux investisseurs de la Mejhoul sont loin d’être des investisseurs anonymes. En plus des domaines royaux, on retrouve de grands groupes comme Saham de Moulay Hafid Elalamy (Saham Agri), ou encore Palmeraie de la famille Berrada (Palmagro) ainsi que le groupe Asta des Belhassan (Sibel). A ceux-là s’ajoutent des domaines plantés par des familles de notables politiques comme les Derham de l’USFP, ou les Qayouh, de l’Istiqlal.
Ces exploitations de 100 à 500 hectares ont été plantées pour la plupart entre 2013 et 2014. Rares parmi elles sont celles qui ont déjà commencé à produire, sachant qu’un palmier dattier n’arrive à maturité qu’au bout de sept ans. «Nos premières dattes de Mejhoul ne pourront être sur le marché que dans deux ans. Et encore il va falloir attendre sept autres années, avant que la production ne puisse atteindre son rythme de croisière estimé à 6000 tonnes par an», nous confie une source de Saham Agri.
La filiale de Saham, qui a lancé son projet de «Majhoul» en 2014 (55.000 arbustes sur 500 hectares), a jusqu’ici investi dans les 200 millions de dirhams. Son innovation dans le domaine lui a même permis de rafler un prix à l’international, le prix Khalifa, à Abu Dhabi, pour un projet de digitalisation des process et de bancarisation de l’ensemble de ses collaborateurs. Et maintenant que la récolte est proche, le groupe est en train de finaliser la station de conditionnement, adossée au domaine. «C’est ainsi dans ce secteur, il y a un long cycle d’investissement qu’il faut respecter pour espérer en récolter les fruits. Et parfois, c’est éreintant», explique Ismaïl Rachidi, notre jeune entrepreneur.
Financement public
Contrairement aux grands groupes, Ismaïl Rachidi a profité des terres collectives de sa famille pour lancer son domaine de 23 hectares en 2012. Le Domaine Rachidi s’est par la suite étendu de 90 hectares additionnels au fil des ans. «J’en suis déjà à 23 millions de dirhams d’investissement, et là je dois encore mettre de l’argent dans une station de conditionnement sachant que mes premières récoltes remontent à l’année dernière», nous raconte Ismaïl.
Pour cette nouvelle étape, comme pour la précédente, son domaine devrait bénéficier des aides publiques. Car si grands et petits investisseurs se lancent dans cette filière, c’est que les autorités leur déroulent le tapis rouge. L’Etat a effectivement mis en place une série de mesures incitatives, notamment la prise en charge de 30% des coûts d’épierrage des terrains, une subvention de 80 à 100% de la mise en place de systèmes d’irrigation, la distribution gratuite de plants, en plus de la prise en charge jusqu’à 50% des équipements et machines.
«Il faut néanmoins tenir compte des plafonds pour ces subventions. Pour les plants, par exemple, j’ai dû dépenser 85.000 dirhams par hectare, alors que l’aide publique est limitée à 35.000 dirhams», nuance Rachidi. Et de poursuivre: «idem pour le système d’irrigation pour lequel la subvention ne m’a permis de couvrir que 40% des dépenses, alors que théoriquement elle est de 80%». L’entrepreneur a pu néanmoins compter sur une formule de financement assez adaptée, développé par le Crédit Agricole du Maroc (CAM). Le principal partenaire de l’agriculture marocaine offre des crédits dédiés à la production –assortis d’un délai de grâce pouvant atteindre 7 ans– mais aussi des crédits dédiés à la valorisation ainsi qu’à la labellisation et à la certification, en plus d’avances sur les récoltes et sur les subventions.
Malgré tous ces efforts qui ont mobilisé des investissements publics de plus de 3 milliards de dirhams, l’engagement du secteur privé reste empreint de prudence. Les dernières statistiques officielles du ministère de l’Agriculture font état de près de 1,5 milliard d’investissements, soit à peine 55% de l’objectif fixé dans le cadre du Plan Maroc Vert. Idem pour le foncier mis à la disposition par les pouvoirs publics qui n’a, jusqu’ici, été valorisé qu’à hauteur de 50%. C’est dire qu’il reste encore du chemin pour la «Mejhoul» marocaine, avant qu’elle ne se fasse la place qu’elle mérite sur le marché mondial. Mais dans le désert, plus qu’ailleurs, la patience est la mère de toutes les vertus…
Source : https://m.le360.ma