Question de la semaine : peut-on considérer les virus comme des « êtres vivants » ?
Incapable de se multiplier sans une cellule hôte, le virus est-il ou non un être vivant ? C’est la question vertigineuse de la semaine.
PANDORE. Comme chaque semaine, Sciences et Avenir répond à une question scientifique posée par ses lecteurs. Cette semaine, c’est celle de Thibs Sana qui nous a interpellé, car elle interroge ce que sont les limites de la vie. La question est en effet : peut-on considérer les virus comme des « êtres vivants » ?
Une question des plus pertinente car contrairement à une bactérie par exemple, un virus est totalement dépendant de la cellule hôte qu’il va parasiter. Le virus peut être vu comme une sorte de seringue transportant un tout petit patrimoine génétique. Quelques dizaines de gènes tout au plus, qui lui permettent lorsqu’il les injecte de prendre le contrôle d’une cellule. Le virus va alors prendre le contrôle de la cellule infectée afin de lui faire produire des dizaines de milliers de copie de son génome puis des particules virales, qui vont à leur tour aller répandre l’infection.
Mais sans cette cellule hôte, le virus ne possède a priori en lui-même aucune de caractéristiques qui définissent la vie. Il est incapable de se multiplier seul. Il ne peut pas s’auto-organiser et il ne peut pas non plus puiser dans les ressources de son environnement pour en tirer l’énergie nécessaire à son bon fonctionnement. Le virus, n’est en somme qu’une boîte inerte qui ne s’active que lorsqu’elle rencontre une cellule susceptible de l’héberger.
Alors vivant ou pas le virus ? « À cette question, il y a actuellement autant de biologistes qui vous répondront oui que non » explique Jean-Michel Claverie directeur du Laboratoire Information Génomique et Structurale à l’Institut de Microbiologie de la Méditerranée, au micro de RFI. « Et c’est un gros progrès par rapport à il y a quelques années où la majeure partie des gens pensaient que le virus n’était pas vivant« .
Une définition qui fluctue au fil des connaissances
Autant dire que la réponse à la question de la qualité de « vivant » d’un virus est loin de faire consensus chez les scientifiques. D’ailleurs, nous-même, à Sciences et Avenir, écrivions-nous en 2006 que « ne peut être défini comme vivant qu’un système qui se débrouille tout seul. Qui constitue un monde biologique en soi. Si on a longtemps nié le statut d’être vivant aux virus, c’est parce qu’il leur manque une qualité essentielle : être en mesure de subvenir à leurs besoins, par eux-mêmes. En effet, le génome d’un virus ne contient pas l’ensemble des données lui permettant de se multiplier, au contraire de celui d’une bactérie, ou d’une cellule humaine ou végétale. Pour survivre, le virus a besoin de parasiter une autre cellule et de détourner sa machinerie cellulaire à son profit« .
Mais depuis, les connaissances ont progressé. « Et nous avons commencé à observer les virus pour ce qu’ils sont, plutôt que seulement pour les maladies qu’ils causent » nous a expliqué Chantal Abergel, chercheuse au laboratoire Information génomique et structurale à l’Institut de Microbiologie de la Méditerranée. C’est ainsi qu’a pu être réalisée, en 2013, une découverte majeure. Des chercheurs ont alors débusqué des virus géants contenant des milliers de gènes, soit aussi complexes que des cellules.
Des virus suffisamment gros pour être visibles au microscope et infecter de manière très classique des cellules hôtes (des amibes en l’occurrence). « Beaucoup de ces gènes nous sont encore totalement inconnus. Sur le plus gros des génomes qui comporte 2500 gènes, environ 2400 n’ont aucun équivalent dans le monde cellulaire ou viral » explique la chercheuse. Cette incroyable terra incognita pour les biologistes a poussé les chercheurs à baptiser ces virus géants du nom de « Pandoravirus ». Car, comme la boite de Pandore de la mythologie, leur contenu est mystérieux et intriguant.
Cette découverte de virus pourvus d’un nombre incroyable de gènes (les tous premiers, baptisés Mimivirus ont été découverts en2003) a, par conséquent, modifié la perception qu’en avaient les chercheurs. « Au moment où un tel virus se reproduit dans sa cellule hôte, il est alors tout aussi vivant qu’une bactérie parasite qui elle aussi vit dans une cellule » affirme Jean-Michel Claverie. La subtilité est que le virus n’est pas, comme une bactérie, un organisme qui demeure « vivant » en permanence. « C’est un micro-organisme transitoire qui devient « vivant » lorsqu’il se développe dans la cellule et qu’il produit une descendance » explique Chantal Abergel.
En d’autres termes, ce que l’on appelle traditionnellement « virus », c’est-à-dire l’ADN du parasite entouré de sa coque protectrice, et qui se promène dans le milieu en cherchant une cellule à infecter, n’est pas plus vivant qu’une spore.
C’est un organisme qui peut rester en stase pendant des dizaines de milliers d’années et se réactiver lorsqu’il rencontre des conditions favorables. On doit d’ailleurs plutôt employer le terme de « virions » pour désigner ces vecteurs destinés à disséminer la vie. En revanche, lorsque le virus est actif dans la cellule, il présente alors indéniablement toutes les caractéristiques du « vivant ». « Se poser la question de ‘est-ce qu’un virus est vivant ou non ?’ revient à de demander la chose suivante : Une plante est vivante, mais est-ce qu’une graine de plante est vivante ? » résume Jean-Michel Claverie.
Source : https://www.sciencesetavenir.fr/