Maroc : La nappe phréatique sans défense
Alors que l’avocat se révèle être un délicieux désastre écologique comme en témoigne le Mexique ou le Chili, entre autres pays, le Maroc ambitionne contre tout bon sens d’en produire à foison. Aujourd’hui, près de 40.000 tonnes d’avocats sont produites chaque année sur le territoire national. En 2020-2021, la région de Rabat-Salé-Kénitra table sur une production prévisionnelle de 60.000 tonnes. Et à l’avenir, cette quantité paraîtra dérisoire. Surtout depuis que le Royaume a accordé au plus grand producteur et exportateur d’agrumes et de légumes d’Israël, le droit d’en planter sur ses terres.
En effet, la société Mehadrin, en association avec une firme marocaine, investira 80 millions de dirhams (8,9 millions de dollars) au cours des trois premières années dans ce projet. «Le Maroc est un pays avec de bonnes conditions de croissance et avec des coûts bien inférieurs à ceux d’Israël», a déclaré Shaul Shelach, le PDG de Mehadrin, entreprise aux 5.000 hectares d’exploitations agricoles et 300 millions de dollars de chiffre d’affaires annuel. Si le Royaume y trouve son compte d’un point de vue économique, il risque d’en payer le prix fort écologiquement parlant. La culture de ce fruit noisette et crémeux supporte peu le froid. Sans surprise, il est principalement cultivé dans les régions du Gharb, Rabat-Salé, Khémisset, Benslimane et Souss-Massa. A la mode et hautement nutritif, l’avocat est excellent pour le cœur et la circulation, contre le cancer, et même contre les rides et la cellulite.
De plus, il pourrait faire diminuer de 22% le taux de « mauvais » cholestérol dans le sang chez les patients en hypercholestérolémie. Mais d’un autre côté, sa culture est extrêmement gourmande en eau. C’est là tout le paradoxe de l’avocat. Il a d’innombrables bienfaits nutritionnels et cosmétiques, mais il est aussi l’un des pires aliments en termes d’impact écologique. Pour vous donner un ordre de grandeur, il faut 200 litres d’eau pour produire un kilo de tomate. En revanche, il faut compter entre 1000 et 2000 litres d’eau pour produire un kilo d’avocat. Sur une planète où les ressources en eau seraient inépuisables, il n’y aurait rien à redire.
Par contre, sur terre, et qui plus est dans un pays comme le Maroc, considéré parmi les nations les plus menacées dans le monde par le stress hydrique, selon l’ONU, faire de la culture de l’avocat une priorité est clairement contreproductif à moyen et long termes. D’autant que les exemples ne manquent pas, comme en témoigne la région de Souss-Massa où le stress hydrique n’est plus une menace mais bel est bien une réalité à cause de l’agriculture intensive de fruits et légumes voraces en or bleu.
En Amérique du Sud, la situation devient critique. Et pas uniquement au Mexique, premier exportateur mondial d’avocat, avec 40% de la production mondiale. « Il y a des enfants de 10 ans qui n’ont jamais vu d’eau dans le fleuve », a déploré auprès de l’AFP, Rodrigo Mundaca, fondateur de Modatima, une organisation pour l’accès à l’eau dans la province de Petorca, dans le centre du Chili. Pis, dans cette région, la culture de l’avocat perturbe la consommation des habitants, qui se voient imposer des restrictions d’eau. Ce n’est pas surprenant que ces derniers accusent la filière d’être à l’origine des graves sécheresses qui frappent la région depuis dix ans. Mais pas que. L’autre danger d’une culture intensive de l’avocat tient dans la monoculture que sa production impose.
Autrement dit, les hectares cultivés sont uniquement consacrés aux avocats pendant des décennies. Résultat, les insectes ravageurs et les maladies s’en donnent à coeur joie car elles ont largement le temps de se multiplier, mais aussi de s’adapter pour ainsi devenir plus résistants aux pesticides et autres insecticides. En conséquence de quoi, les agriculteurs utilisent des quantités de plus en plus importantes de produits chimiques, auxquels les insectes auront encore une fois le temps de s’adapter.
Bref, un cercle vicieux entretenu par la cupidité et les considérations économiques. L’autre danger réside dans le fait que l’utilisation intensive des pesticides va sans aucun doute polluer par la suite les sols et les nappes phréatiques, puis forcément intoxiquer la faune locale avant certainement d’empoisonner les humains. Dans plusieurs pays d’Amérique du Sud, les femmes enceintes avortent ou mettent au monde des enfants malades ou mal formés. Et des fois, c’est malheureusement les deux à la fois. Une triste réalité qui n’a pas l’air d’inquiéter outre-mesure les décideurs marocains.
A l’évidence, le Royaume entend avoir une part du gâteau du marché de l’avocat quitte à troquer l’or bleu qui est vital, pour de l’or vert, à la valeur inégale et qui n’est clairement pas indispensable dans nos vies contrairement à l’eau. Il faut dire que le marché de l’avocat pèse des milliards puisqu’à elle seule, l’Union européenne, partenaire commercial privilégié du Royaume, importe 440.000 tonnes d’avocats /an, dont 20.000 tonnes en provenance du Maroc. Mais est-ce pour autant une raison pour prendre le risque de mourir de soif ? Certainement pas.
Maintenant, il y a des solutions pour éviter un tel scénario, comme stresser la plante, ou développer un système racinaire pour optimiser l’utilisation de l’eau. Mais là aussi, la mise en place d’un tel système n’est pas à la portée de tous les agriculteurs. A dire vrai, cultiver l’avocat avec modération est un choix responsable et visionnaire. Mais pour l’instant, le Maroc n’en prend pas le chemin.
Source : https://www.libe.ma