Des pommes de terre super-résistantes, nées en labo
Par simple hybridation, des chercheurs sont parvenus à leur transférer les gènes de résistance au mildiou. Ces nouvelles variétés tout-terrain, garanties sans pesticides, entament leur conquête du marché.
Elles arrivent dans les jardins et les champs, bientôt dans nos assiettes. Les variétés de pommes de terre résistantes au mildiou, un redoutable champignon microscopique, entament leur conquête du marché. Passion a été la première, il y a moins de trois ans. Tentation, Cephora, Maïwen, Kelly, Rackam, Zen et Stronga sont désormais disponibles. Autant de variétés qui, en annihilant les attaques du ravageur, pourraient bien permettre aux agriculteurs et jardiniers de se passer totalement de pesticides. Une révolution quand on sait que la pomme de terre est actuellement la troisième plus grosse consommatrice de ces produits derrière la pomme et la vigne ! » Il faut en effet traiter préventivement les champs car une fois le champignon installé, il se diffuse très vite grâce à la dispersion de ses spores, ce qui implique jusqu’à 16 traitements (hors herbicide) pour une culture plantée en avril avec une récolte en septembre « , détaille Jean-Paul Bordes, chef du département recherche et développement de l’institut technique Arvalis.
C’est en remontant l’histoire de la domestication de la plante (lire l’encadré p. 64) que les scientifiques ont trouvé la parade. C’est en effet dans les régions andines d’Amérique du Sud que l’on trouve les 200 espèces sauvages dont l’homme s’est déjà largement emparé pour améliorer la grosseur et la qualité gustative des tubercules. De multiples sélections ont été opérées depuis des décennies qui, si elles se sont révélées efficaces, ont eu cependant un effet redoutable. » Nous avons, certes, amélioré des espèces sauvages produisant des tubercules de taille généralement très réduite, mais cela s’est fait au prix d’une élimination des défenses naturelles de la plante et notamment des composés toxiques comme les glyco-alcaloïdes, ironise Yves Bertheau, directeur de recherche Inra au Muséum national d’histoire naturelle de Paris. La pomme de terre est devenue bonne à manger pour l’homme… mais aussi pour toute une kyrielle d’organismes ! « Bactéries, champignons, virus, nématodes, insectes, etc. Plus d’une quarantaine de » bioagresseurs » a été répertoriée. Si bien que les pesticides ont longtemps été considérés comme le seul moyen de garantir une pomme de terre utilisable par l’industrie de la frite et de la purée.
Des millions d’années de coévolution
L’idée des chercheurs a donc été d’identifier les gènes de résistance des variétés rustiques, insensibles aux maladies, et de les transférer par croisement ou hybridation aux plantes cultivées. » Ces plantes ont pour intérêt d’avoir coévolué pendant des millions d’années avec les principaux parasites que l’on connaît et ont donc développé des mécanismes de résistance qui leur ont permis de survivre dans la nature « , assure Jean-Éric Chauvin, directeur adjoint de l’Igepp (Institut de génétique, environnement et protection des plantes) au centre Inra de Ploudaniel (Finistère). Une quête qui a commencé voilà plus de trente ans dans le centre de ressources biologiques breton grâce à des plants importés d’Amérique latine, soumis tour à tour à des attaques de mildiou. Puis les individus les plus résistants ont été sélectionnés et croisés par voie sexuée avec des espèces cultivées. Il ne s’agit donc pas d’OGM, technique qui implique l’insertion d’un gène étranger dans la plante. La procédure est cependant presque aussi complexe!
39.000 gènes répliqués quatre fois
» Le génome de la pomme de terre est tétraploïde, c’est-à-dire que ses 39 000 gènes sont répliqués quatre fois, alors que les espèces sauvages sont majoritairement diploïdes, autrement dit leurs gènes sont répliqués deux fois « , explique Jean-Éric Chauvin. Il a donc fallu vaincre ces barrières pour éviter que les croisements ne soient stériles, puis éliminer progressivement les caractères indésirables de l’espèce sauvage. » Au bout de dix à vingt ans, nous avons réussi à mettre au point des génotypes dont les caractéristiques majeures sont celles de la pomme de terre cultivée, avec les gènes de résistance recherchés « , poursuit le chercheur. Car il n’était pas question de se contenter d’un seul gène de résistance ! Le mildiou est en effet doté d’une très grande capacité d’adaptation et peut contourner facilement les obstacles génétiques qu’on lui oppose.
Les progrès spectaculaires de la génomique – en particulier le décryptage du génome complet de la pomme de terre en 2011 – ont ensuite permis d’accélérer de façon spectaculaire ce travail de croisement pour obtenir de nouvelles variétés. L’Inra a ainsi pu transmettre des » géniteurs améliorés » aux professionnels de l’Association des créateurs de variétés nouvelles de pomme de terre (ACVNPT). » Nous croisons ces géniteurs avec des variétés utilisées pour des qualités recherchées comme le rendement, mais aussi la capacité à produire de l’amidon pour l’industrie biochimique, ou à être transformé en chips ou en frites « , expose Jean-Marc Abiven, sélectionneur à l’ACVNPT. Travail qui a demandé encore une dizaine d’années supplémentaires avant d’aboutir aux variétés aujourd’hui disponibles. Le catalogue national des variétés est riche de 300 références dont 44 inscrites depuis 2012. Une accélération attribuée principalement à la recherche de résistances.
Les premières plantations en plein champ ont eu lieu et la saison 2016 a semblé montrer l’intérêt de ces nouvelles espèces. Les pluies incessantes du printemps ont en effet favorisé les attaques virulentes de mildiou qui a besoin d’humidité pour se développer. » Les agriculteurs qui ont essayé ce printemps les variétés résistantes ont constaté qu’elles étaient peu affectées par la maladie « , note Jean-Paul Bordes. » Selon les régions, les agriculteurs ont pu baisser les épandages de pesticides de 30 à 50 % en dépit de la météo défavorable « , confirme Jean-Marc Abiven. L’intérêt est d’autant plus fort que le secteur est conscient que les produits chimiques les plus toxiques vont être peu à peu interdits tandis que les doses épandues de ceux toujours autorisés devront diminuer d’au moins 25 % en 2020 et de 50 % en 2025 selon le plan national Écophyto. La génétique constitue donc une piste prometteuse, associée à d’autres comme la lutte biologique. La pomme de terre » bio » est peut-être pour demain.
Source : sciencesetavenir.fr